Ce samedi 23 septembre, les Néo-Zélandais ont élu leur nouveau premier ministre. Problème : ils ne savent pas encore de qui il s’agit. En effet, au terme d’une campagne très intense, aucune coalition n’a obtenu la majorité absolue des sièges au Parlement, et tout repose désormais sur les épaules d’un seul homme… mais n’anticipons pas.
Samedi dernier, les Kiwis étaient donc appelés à voter pour élire leurs représentants à la Chambre, et de facto le chef du gouvernement. Ces general elections ont lieu tous les trois ans, et rythment la vie démocratique du pays. C’est en Nouvelle-Zélande que je réalise à quel point l’organisation de nos élections est archaïque en France. Ici, il est possible de voter en avance pendant toute la semaine précédant le scrutin, et ce sans avoir besoin de carte d’électeur ni de document d’identité. L’inscription sur les listes électorales ne prend que cinq minutes, et il est possible de s’inscrire jusqu’à la veille du scrutin. A l’Université d’Auckland, tout est fait pour que les étudiants accomplissent leur devoir civique : il est possible de voter sur le campus, et les militants des différents partis sont là pour répondre aux questions des indécis, cocarde rouge, bleue ou verte à la boutonnière (voir image à la une)

Si les Américains ont un président orange pour les dégoûter de la politique, les Néo-Zélandais peuvent compter sur un autre « bonhomme orange » pour leur rappeler de voter. La mascotte de la Commission Électorale, si elle peut prêter à sourire, n’en est pas moins efficace : la Nouvelle-Zélande compte ainsi l’un des plus forts taux d’inscription sur les listes électorales au monde. Néanmoins, l’abstention reste plutôt élevée chez les jeunes, et atteint plus de 30% chez les 18-24 ans (cela reste bien plus faible qu’en France, où l’abstention des moins de 35 ans a atteint 65% aux dernières législatives)

Bref, j’ai beau être un Scube, je n’en suis pas moins un sciences-piste. La perspective de suivre ces élections, dont on disait l’issue incertaine, m’enchantait au plus haut point, et m’offrait une occasion d’en apprendre davantage sur la politique en Aotearoa. Maintenant que les résultats sont tombés, laissez-moi vous présenter, tel Guillaume Tusseau à des étudiants de première année, le système politique de la Terre-du-Milieu.
Comment ça marche ?
Jusqu’en 1996, la Nouvelle-Zélande utilisait un mode de scrutin calqué sur celui en vigueur au Royaume-Uni : les 120 députés de l’unique chambre étaient donc élus au suffrage uninominal à un tour, à la majorité relative (selon le principe du « first past the post »). Ce type de scrutin est apprécié dans les pays où règnent un bipartisme fort (comme en Grande-Bretagne, où le Parti Conservateur et le Parti Travailliste se partagent le pouvoir depuis 1922) ; cependant, il a pour conséquence de sous-représenter les partis plus modestes, ce qui est problématique dans un pays comme la Nouvelle-Zélande, avec les minorités māories par exemple.
Suite à une réforme en 1993, la Nouvelle-Zélande utilise désormais le système MMP (Mixed Member Proportionnal, ou représentation proportionnelle mixte), similaire au système allemand. Avec le MMP, chaque électeur peut voter à la fois pour un candidat local pour représenter sa circonscription à la Chambre, et pour un parti. Tous les candidats élus localement (au scrutin uninominal à un tour) disposent alors d’un siège, et les sièges restants sont attribués aux partis au prorata des scores obtenus, selon des listes de candidats établies par les instances nationales des partis. Un parti obtenant moins de 5% des suffrages ne se voit attribuer aucun siège, sauf si un de ses candidats locaux est parvenu à se faire élire : c’est le cas par exemple du parti ACT, dont le leader David Seymour a été réélu ce samedi dans sa circonscription d’Epsom, malgré un score national très faible de 0,5%. La vidéo ci-dessous (où vous retrouverez notre ami orange) sera peut-être plus parlante (en anglais) :
Les partis
Malgré le MMP, le bipartisme reste très fort en Nouvelle-Zélande. Comme en Grande-Bretagne, la gauche est représentée par le Parti Travailliste (Labour), tandis que le Parti National, à tendance libérale conservatrice, occupe la droite de l’échiquier politique ; ces deux partis représentent à eux seuls près de 82% des suffrages aux dernières élections, et 103 sièges sur 120.
Le premier ministre sortant, candidat à sa propre succession, est Bill English, leader du Parti National. Quant au Labour, à la traîne depuis 2008, celui-ci semble renaître de ses cendres depuis que Jacinda Ardern a repris les rênes du parti le 1er août dernier. En seulement quelques semaines, la députée de 37 ans s’est hissée en tête des sondages, se faisant remarquer par ses propositions fortement marquées à gauche : nouveaux impôts, construction de logements sociaux, enseignement obligatoire du te reo (langue māorie), décriminalisation de l’avortement, etc.

Loin derrière, New Zealand First (le FN local, bien que plus modéré) ne récolte que 7,5% des suffrages, et 9 sièges. Son leader Winston Peters, connu pour ses dérapages racistes, n’est pas parvenu à se faire réélire dans sa circonscription du Northland ; pourtant, il se trouve aujourd’hui en position de faiseur de roi (ou de reine). En effet, ni le National, ni le Labour n’ont obtenu la majorité absolue de 61 sièges : il ne manque que 2 sièges à la coalition National/ACT pour former un gouvernement, tandis que le Labour et les Verts ne récoltent que 52 sièges, en dépit de la « Jacindamania » des dernières semaines.
Le Parti National est bien entendu en position de force, contrairement au Parti Travailliste qui aura besoin de tous les sièges de NZ First s’il veut espérer gouverner. Winston Peters, de son côté, a fait entendre qu’il ne rendrait pas sa décision avant plusieurs semaines, le temps de négocier avec les leaders des deux partis. Dans tous les cas, les espoirs de changement qu’avait suscités la récente remontée du Labour (aux dépens du Parti Māori, qui perd ses deux seuls sièges) se voient mis à mal par ces résultats plutôt décevants.

En bref, il était intéressant de suivre cette élection à laquelle je ne pouvais prendre part. Après le choc Trump et des élections françaises très éprouvantes, retrouver la sérénité d’une vie politique modérée est plus qu’appréciable, l’échelle réduite du pays aidant (à peine 2,5 millions de votants !) Néanmoins, ici comme ailleurs la gauche semble peiner à se renouveler pour séduire un électorat jeune, et nombreux sont les Kiwis tentés par le nationalisme de NZ First. Malgré tout, les Néo-Zélandais restent fortement impliqués dans la vie politique de leur pays, et peut-être devrions-nous nous inspirer de l’organisation de leurs élections afin d’enrayer l’abstention croissante dans notre pays.
Taihoa ka kite, à bientôt !
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